La photo de Dominique Strauss-Kahn menotte paradant devant les cameras n’a nullement fini de symboliser le choc qui s’est bien en France depuis trois semaines.
Ce choc reste evidemment politique dans la mesure ou il rebat toutes les cartes de l’election presidentielle qui aura lieu au sein d’ un an.
Les images subliminales aidant, la droite pourra dorenavant poser en parangon de vertu alors meme qu’elle etait embourbee avec des mois dans de multiples conflits d’interets. Qu’on se souvienne des surprenantes relations de l’ancien ministre du Budget Eric Woerth avec la milliardaire Liliane Bettancourt et des voyages de l’ex-ministre des Affaires etrangeres Michele Alliot-Marie dans la Tunisie de Ben Ali.
I§a ne sera jamais totalement faux de dire que si la France a ete revoltee par les photos de DSK menotte, c’est parce qu’elle a conserve envers ses elites une certaine deference depuis longtemps disparue en Amerique. Certes, la France a souvent fera preuve de complaisance pour le domaine et il se est en mesure de qu’elle ait ete trop tolerante dans un certain nombre d’affaires ou le libertinage dissimulait l’agression sexuelle. Ce sont nos enquetes qui le diront et non gui?re les savantes observations qui pullulent ces jours-ci du genre «tout un chacun le savait, voyons donc!»
Mais le choc reste aussi juridique. Depuis trois semaines, les Francais vont de surprises en deconvenues, decouvrant 1 systeme judiciaire qu’ils croyaient connaitre grace a toutes les series policieres americaines, mais dont ils ignoraient bien. Apres les photos, ce pantalon le montant exorbitant d’une caution (1 million de dollars, plus 4 millions de depot de garantie!), puis le bracelet abonnement bgclive electronique double en surveillance video. Enfin, cette peine ubuesque de 74 annees de prison dont DSK reste passible, lui qui a deja 62 ans. Sans oublier votre guerre mediatique ou l’accusation multiplie les fuites dans la presse pendant que la defense depense des centaines de millions de dollars Afin de ruiner J’ai reputation d’la victime presumee. Mal habitue a une telle demesure, le Francais possible en est tout seulement pantois!
Rarement a-t-on decouvert 2 cultures juridiques s’affronter de facon aussi frontale. Un Quebecois qui vit aux Etats-Unis me racontait que la «perp walk», qui permet de balader un detenu enchaine devant les photographes, avait a l’origine Afin de fonction de prouver qu’il n’avait pas ete battu par nos policiers. Il existe longtemps que votre noble esprit republicain a cede l’espace a l’humiliation de l’accuse. Du reste, la justice americaine ne se distingue-t-elle pas justement d’une justice europeenne avec sa cruaute?
C’est la these tres serieuse que defend avec brio depuis des annees James Q. Whitman, auteur d’un livre devenu un classique et intitule Harsh Justice (Oxford University Press).
Ce repute juriste de l’Universite Yale note que les peines paraissent presque forcement plus longues aux Etats-Unis et qu’on y emprisonne dix fois moins rarement qu’en Europe. Avec 2,3 millions de detenus, dont 120 000 condamnes a life, nos Etats-Unis detiennent le record mondial et battent meme la Chine. Cet acharnement va parfois jusqu’au refus de toute forme de prescription, comme Afin de ces delinquants sexuels exposes a la vindicte populaire dont le nom est inscrit a vie sur des listes publiques. En France, Nicolas Sarkozy semble s’i?tre fait le defenseur d’un tel acharnement pourtant en contradiction avec l’evolution du droit europeen.
Ni nos Europeens ni nos Americains n’ont le monopole de l’egalite devant sa justice. Selon Whitman, ils defendent juste une conception differente de l’egalite. Mes premiers ont progressivement supprime les traitements humiliants autrefois reserves aux detenus de basse condition, et eleve ces derniers sur un plan autrefois reserve aux privilegies. Au contraire, les seconds ont eu mode a infliger a toutes les puissants des humiliations historiquement associees aux anciens forcats: humiliation publique, port de l’uniforme carceral, peines incompressibles, promiscuite en prison, bricolage indispensable, etc. Cette humiliation des puissants apparait a toutes les Etats-Unis comme votre effet compensatoire puisqu’ils peuvent par ailleurs depenser des millions pour se defendre.
Etrangement, c’est en pays democratiques ou l’Etat reste tri?s que celui-ci peut se montrer clement et que des peines seront plus reduites (Suede, Norvege, France, Allemagne). Si l’Etat est faible, comme a toutes les Etats-Unis, il semble qu’on ait tendance, au contraire, a redoubler de severite.
Prototype de votre derive securitaire dont la pression s’fait aujourd’hui sentir partout, la justice americaine a tendance a compenser l’absence d’un Etat fort capable de magnanimite avec une morale omnipresente, rigoriste et souvent etouffante. Comme quand il ne s’agissait environ condamner 1 homme pour le crime que celui-ci a commis, mais pour le mal qu’on voit en lui. Aux Etats-Unis, «l’idee de redemption, de rachat, de salut a disparu», expliquait recemment le juge francais Serge Portelli.
Oui, la photo de DSK menotte reste le symbole d’une justice inhumaine. Le souci, c’est que cette obsession du tout securitaire est devenue tellement omnipresente qu’on ne s’en emeut plus. On ne la voit aussi jamais.